Publié par warmeriville1418 | Filed under Points
05 vendredi Déc 2014
03 mercredi Déc 2014
Posted Témoignages
inPar suite du départ de la majorité des cultivateurs et de la population aisée, les habitants de Warmeriville se trouvent réduits à 1212, dont 475 Hommes et 737 femmes.,
Par suite de ces départs, le Conseil municipal se trouve réduit à 3 membres : HARMEL Maire, LOTH Conseiller, SAUCOURTl Conseiller.
Des bons d indemnités militaires, suivant la loi ont été créés et sont distribués aux ayant-droit toutes les semaines.
Dès le commencement de l’invasion nous obtenons une quantité de bons assez importante pour les réquisitions de toute nature, mais pour les grains et fourrages pris dans les fermes inhabitées, c’est en vain que nous réclamons; il est toujours répondu :
« Amenez le propriétaire pour nous expliquer ce qu’il veut ».
Comme la maison HARMEL Frères fait encore m archer l’usine 3 jours par semaine, pour achever ses commandes, et que chez les cultivateurs il y a encore un peu d’argent, la population ne souffre pas trop pendant les premiers mois.
Les Allemands ayant requis de faire battre les meules, nous obtenons que les ouvriers employés à ce travail soient payés en argent (allemand). Les plus nécessiteux y sont occupés. Sur les bons indiquant les quantités reçues en grains et la valeur, l ‘ argent versé aux ouvriers est déduit de la somme totale.
Les pommes de terre ont été à peu près toutes ramassées par les soldats, non seulement par ceux cantonnés dans le pays, mais aussi par ceux cantonnés dans les pays environnants.
Là le pillage a été complet et il a été impossible d’obtenir aucun bon.
Comme cet aliment constituait la base de la nourriture de la plupart des ouvriers du pays, c’est surtout de ce côté que la privation se fera sentir.
Nous sommes déjà inondés de papier monnaie allemand et belge, L’argent monnayé commence à faire défaut, les soldats se faisant rendre la monnaie de leurs achats en numéraire lorsqu’ils se font servir dans les magasins où il existe encore un peu de marchandise. Pour obvier à cela nous créons une monnaie fiducière bons de 1 F. et de 0,50 cent. L’usine HARMEL crée également des bons de 5 F. de 2 F. et de 1 F.
Nous arrivons ainsi en prévenant les commerçants du pays à conserver le peu de numéraire qui nous reste.
Dans les premiers temps un triage avait été fait par le Conseil municipal, indiquant les personnes pouvant se suffire et qui ne toucheraient pas nécessairement l’indemnité militaire, puisque leurs besoins n’étaient pas urgents. Mais nous devons revenir sur cette décision, car les familles ayant remis de l’argent à leurs soldats à leur départ, et ayant dû acheter tout à des prix plus élevés, et par suite de la diminution du travail, se trouvent maintenant presque nécessiteuses. Le Conseil décide donc que toutes ces personnes non admises à la première répartition auront maintenant d r o i t à l’indemnité militaire.
Le Bureau de Bienfaisance a pu continuer de fonctionner et à secourir les plus nécessiteux.
Quelques habitants avant de partir ont eu l’imprudence de cacher en terre des valeurs, des livrets de caisse d’épargne, du vin, etc, Quelques cachettes ont été trouvées et voici que dans tout le pays ce sont des fouilles dans les jardins et dans les maisons inhabitées.
Plusieurs fois j’ai pu savoir que des titres avaient été découverts; en m’adressant au Conmandant j’ai pu rentrer en possession de ces petits trésors.
Un cultivateur vient ma trouver un jour pour me raconter qu ‘ on venait de lui enlever sa cachette et que 60.000 Frs de valeurs avaient été pris. Cherchant immédiatement, j’ai pu trouver le détenteur et après des démarches qui durèrent plus d’un mois, j’ai pu lui faire rendre ses titres et 3.600 frs de billets de banque.
Mais combien auront disparu que je n’ai jamais connus.
Vers cette époque nous avons dû verser une indemnité de guerre de 16.000 frs environ, à payer en or, avec menace d’emmener tous les hommes en Allemagne faute de payement. Nous sommes arrivés à faire cette somme par un emprunt communal auprès des commerçants encore présents et avec l’aide d’un grand nombre de citoyens qui versaient les uns 50 frs, les autres 1OO frs.
Nous avons pris l’engagement vis à vis des commerçants de leur rendre les sommes avancées aussitôt la libération du territoire, afin de leur permettre de faire des achats nécessaires à leurs magasins.
Grâce à un Commandant bienveillant, nous arrivons à ne payer qu’une partie an or. Il eût été impossible de trouver cette somme, les cultivateurs et personnes aisées étant parties avec ce qu ils avaient d’or.
En voyant les grains réquisitionnés tous les jours, nous avons décidé dès Octobre de faire de la farine complète pour prolonger notre petite provision de farine blanche. Grâce à ce procédé nous sommes arrivés à fournir la population de pain sans rationnement jusqu’au 15 Février.
Nous avons obtenu de l’Intendance à laquelle nous fournissions les grains, de battre pour la population un jour par semaine. Quelques cultivateurs parvenaient à nous livrer des grains qu’ils battaient en cachette. Nous étions arrivés ainsi à constituer une certaine provision, placée par petites quantités chez l’un et chez l’autre, et nous aurions pu durer encore 3
ou 4 mois, si une réquisition générale de tous les grains battus ou à battre n’avait eu lieu fin Février, avec ordre de saisir tout ce qui n aurait pas été déclaré. Les grains qui ont pu être soustraits aux réquisitions allemandes étaient livrés à la commune contre des bons payables après la guerre. Grâce à ce procédé nous avons pu garder l’argent nécessaire à l’achat d’autres vivres, ces achats devant toujours être payés comptant.
En payement du pain, la boulangerie recevait les bons d’indemnité militaire et les bons de réquisition délivrés par les Allemands garantissant ainsi les fonds avancés par la commune, vers le 20 Février nous avons été rationnés à 100 grammes de farine par jour et par habitant.
Dès le mois d’Octobre nous avons dû faire des achats de sucre et de sel. En Novembre les vivres se faisant rares, nous avons dû acheter du riz, de la semoule, de l’orge perlé, du sucre, du sel, du café, de la graisse, du savon. Nous devons reconnaître que les Intendances nous ont livrés sans trop de difficultés sinon la totalité de nos demandes, au moins une forte partie, ce qui a permis à la population de vivre sans trop de privations.
A partir du 5 Février la situation change. Le nouveau corps d’occupation fait fermer l’usine Harmel et fait réquisitionner le reste de la laine laissée par le corps précédent pour permettre aux ouvriers de travailler quelques jours. (Dans une première réquisition le général Von Bulow avait consenti à laisser 1/3 des marchandises).
Tous les jours il y avait appel à 7 heures, 150 à 180 hommes étaient réquisitionnés pour décharger les wagons, entretenir les routes, enlever les fumiers des fermes, scier du bois, pomper de l’eau pour une grande installation de bains, etc. Toutes ces corvées étaient sans aucune rétribution, sauf pour le déchargement des wagons, où 10 hommes employés recevaient un salaire moitié en argent, moitié en bons.
Après quelques semaines de ce régime la population commençait à souffrir beaucoup et pour calmer les esprits, après avoir réuni le Conseil municipal et quelques propriétaires restés au pays, nous avons décidé que les hommes employés à ces corvées recevraient de la commune une somme de 0,50 par jour, payable en un bon remboursable après la guerre, ce qui leur permettrait de faire quelques achats de vivres et calmer les mécontents.
Un homme ayant été trouvé en état d’ivresse un dimanche soir, alors que des soldats l’avaient fait boire, la commune fut frappée de 300 frs d’amende qu’après bien des démarches nous arrivons à faire réduire à l50 frs payable en or. C’est avec difficulté que nous trouvons l’or nécessaire à ce payement. (Cet homme n’habitait la commune que comme réfugié).
Avec beaucoup de peine nous étions arrivés jusque là à fournir à la population la viande nécessaire, partie en bœuf, partie en cheval, mais toutes les vaches du pays ayant été réquisitionnées et placées dans une même écurie, il devenait impossible de fournir la boucherie. Nous fîmes alors des démarches auprès des abattoirs allemands pour nous procurer des queues de bœuf et autres bas morceaux non utilisés par eux, qui nous permettraient de faire des soupes populaires. La première venait d’être faite le l0 Mars quand sans motif connu, le soir à 8 heures nous étions arrêtés ma femme, mon frère et moi, et conduits à la prison de Rethel, où nous avons passé 45 jours en cellule.
Au bout de ce temps on nous évacua par la Suisse et nous avons pu rentrer en France où nous avons appris qu’une partie de notre population avait été évacuée dans les environs de Dijon.
Etant donné l’état d’extrême faiblesse dans lequel je me trouvais à ma rentrée en France, j’ai dû attendre jusqu’a maintenant pour vous faire ce rapport.
Je ne voudrais pas terminer sans vous signaler deux institutrices Melle VUATTIER et Melle MOREAU qui se trouvaient dans leurs familles au moment de l’envahissement et qui se sont occupées avec dévouement des enfants. Même pendant les vacances de Noël et du Jour de l’An les classes ont fonctionné, ce qui a permis aux parents de surveiller plus facilement leurs maisons envahies. Les classes n’ont cessé que le 5 février, toutes les écoles ayant été requises pour des ambulances.
Signé Maurice HARMEL